Presqu’île
“Etre une presqu’île. Se suffire, avoir son univers, sa liberté, sa solitude, mais sans couper les ponts, sans renoncer au monde. Une langue de terre vous relie aux autres. Ils peuvent l’emprunter pour venir vous voir tel que vous êtes, ou bien c’est vous qui revenez vers eux quand ça vous chante, dans une parenthèse nécessaire et limitée.
Le presque semble modeste. (…) une presqu’île serait a priori un peu moins qu’une île, un peu moins de caractère, de per¬sonnalité, de sauvagerie bien sûr. Mais il ne faut pas s’y fier. Le presque donne aussi au mot un bel équilibre, une longueur, une élégance. La presqu’île ne surjoue pas, elle reste à portée. Mais elle est tellement sûre d’être ce qu’elle est qu’elle n’a pas besoin de déclaration d’indépen¬dance.” (…)
Extrait de Les mots que j’aime, Philippe Delerm
Les Paysages d’Adonis
« Je m’aperçus soudain que je ne regardais plus la plante, mais que j’étais elle.» Kathleen Raine
La fleur de l’âge – par Dagara Dakin, commissaire indépendant
Il peut paraître étrange, voire même incongru de se demander si « Les Paysages d’Adonis » – titre que la photographe Anne-Lore Mesnage a donné à sa série – sont des portraits, des paysages ou des natures mortes, tant ils semblent hésiter entre ces différents genres. Il n’est qu’à se référer au titre de la série pour avoir la réponse, serait-on tenté de nous rétorquer. Mais, une série photographique ne se résume pas au titre qui l’identifie, permet de la distinguer d’une autre série. Les mots charrient des images que les images elles-mêmes parfois réfutent ou contredisent. Ainsi, dans les paysages d’Anne-Lore Mesnage, des figures d’adolescents forment diptyque avec des paysages qui n’en sont
pas toujours. Parfois identifiables, d’autrefois dissimulés, ses “portraits” semblent happés par la végétation qui en brouille l’identité, la masque comme pour mieux laisser place au paysage auquel le “portrait” fait écho. C’est qu’il y est question de métamorphose et de la place que l’environnement occupe dans nos existences. « L’être humain semble trop souvent oublier qu’il évolue dans un écosystème parmi des éléments interdépendants, et auxquels il est lui-même assujetti. Il met alors en péril les chaînons naturels qui lui sont liés. » dit l’artiste. À voir ses images et à se souvenir du titre de la série on ne peut s’empêcher de songer qu’il y a sans doute une référence implicite à cet âge qu’est l’adolescence, considérée comme le printemps de nos existences d’êtres mortels. Mais on songe aussi aux métamorphoses d’Ovide ou encore à tous ces récits où à la fin de l’histoire la figure héroïque s’efface et laisse symboliquement une plante ou une fleur signifier son passage sur cette terre. La nymphe Clytie, amante d’Hélios, est ainsi changée en tournesol, tandis que Tristan et Yseult, s’incarnent, ou pour parler autrement, se réincarnent respectivement en glycine et en chèvrefeuille. Et la photographe de préciser au sujet des adolescents qu’elle « immortalise » : « Personnifiant tour à tour la divinité orientale Adonis, ils se laissent partiellement intégrer par le végétal qu’ils semblent dompter. Faisant référence aux peintres de la Renaissance (De Vinci, Flandrin, Boccaccino), ils se tiennent ainsi, fiers et droits, prêts à prendre racine.»
Les photographies d’Anne-Lore convoquent pour sûr la littérature, mais elles ne s’en inscrivent pas moins dans l’histoire de la pratique photographique et plus largement artistique.
Le pari des sages
Ce travail consiste en une quête quotidienne des petits gestes qui traduisent le mouvement de transition vers lequel nous tendons. De jardins en manifestations, les apiculteurs croisent les militants, les designers défient les agriculteurs pendant que les sages rêvent à demain.
La fin du pétrole
Le quartier Autofrei à Vienne en Autriche est un laboratoire d’expérimentation écologique à ciel ouvert qui existe depuis 2000. Le quartier accueil plus de 500 habitants et chaque famille est encouragée à vivre sans voiture, seul 20% des habitants a gardé son véhicule, une voiture partagée est mise à disposition dans le garage (4 places de parking contre une centaine de vélos) mais peu de personnes l’utilisent préférant les transports en communs bien développés dans la capitale.
Ce quartier résidentiel est un pari un peu fou lancé par Christoph Chorherr (porte-parole du parti écologiste) il y a 11ans; les habitants semblent aujourd’hui avoir trouvé un rythme de vie qui leur convient parfaitement.
A travers cette série de photographies, j’ai voulu imaginer ce à quoi pourrait ressembler notre futur proche, sans pétrole, dans un espace urbain. Le déplacement des habitants au rythme d’un quotidien à réorganiser (courses, déménagements, …), les espaces à se ré-approprier…
Le Monde de DD
La médiatisation intensive du concept de développement durable nous a amené à repenser nos choix de vie à travers nos gestes quotidiens. Et même si nous sommes dépendants des choix politiques, des initiatives alternatives nous montrent qu’une autre réalité est envisageable. L’Homme, qui tient un rôle majeur dans la transformation de la planète, prend dans les photographies présentées une place prépondérante, puisque c’est aujourd’hui sur ses épaules que repose l’avenir de son environnement.
Le modèle, Jean-Jacques Fasquel, est consultant-formateur en Développement Durable, maître-composteur et éco-citoyen. http://jjfasquel.blogspot.com/
Entre d’Eux
« Demain », au CADA, est une date. Peut-être le jour choisi par l’OFPRA* pour donner sa réponse, signant ainsi le terme d’une attente espérante et angoissée. En attendant, il faut occuper le temps, vaste et lent. Il faut apprendre la patience, essayer de sortir de son esprit cette idée fixe qui ronge toute autre pensée : l’obtention du statut. Mais les démarches sont compliquées, la procédure hermétique pour une acquisition parfois vitale. On maîtrise difficilement les rouages d’une administration qui va pourtant décider du destin de ces hommes.
Madame H. me dit que son mari est parti à la pêche. C’est ce qu’il a trouvé pour tuer le temps. Et aussi pour avoir l’impression de continuer à subvenir aux besoins de sa famille. Puisque Monsieur H. ne travaille pas, ne peut pas travailler sans papiers. C’est le mal que tous connaissent: l’oisiveté forcée, du temps en trop qui fait se sentir inutile. C’est comme si le temps était suspendu, leur vie mise sur pause… entre deux espaces, les deux pays, et entre deux instants, les deux identités. Ils sont en France mais pas français. Ils sont arméniens, congolais… mais plus dans leur pays. Ils ont des souvenirs envahissants et un avenir inconnu. Ils sont dans cet entre-deux là représenté physiquement par le centre de Villeurbanne ou de Bron, le CADA. Un entre-deux que l’obtention du statut de réfugié ne viendra résoudre que partiellement. Les papiers n’effaceront pas les souvenirs. Et ces papiers ne garantissent en rien une vie plus facile sur le territoire. Lorsque la procédure est positive, que le demandeur d’asile devient réfugié, que devient celui qui dans son pays était professeur d’histoire ou pianiste ? Quel métier a-t-il le droit d’espérer en France ?
“Etre une presqu’île. Se suffire, avoir son univers, sa liberté, sa solitude, mais sans couper les ponts, sans renoncer au monde. Une langue de terre vous relie aux autres. Ils peuvent l’emprunter pour venir vous voir tel que vous êtes, ou bien c’est vous qui revenez vers eux quand ça vous chante, dans une parenthèse nécessaire et limitée.
Le presque semble modeste. (…) une presqu’île serait a priori un peu moins qu’une île, un peu moins de caractère, de per¬sonnalité, de sauvagerie bien sûr. Mais il ne faut pas s’y fier. Le presque donne aussi au mot un bel équilibre, une longueur, une élégance. La presqu’île ne surjoue pas, elle reste à portée. Mais elle est tellement sûre d’être ce qu’elle est qu’elle n’a pas besoin de déclaration d’indépen¬dance.” (…)
Extrait de Les mots que j’aime, Philippe Delerm
Les Paysages d’Adonis
« Je m’aperçus soudain que je ne regardais plus la plante, mais que j’étais elle.» Kathleen Raine
La fleur de l’âge – par Dagara Dakin, commissaire indépendant
Il peut paraître étrange, voire même incongru de se demander si « Les Paysages d’Adonis » – titre que la photographe Anne-Lore Mesnage a donné à sa série – sont des portraits, des paysages ou des natures mortes, tant ils semblent hésiter entre ces différents genres. Il n’est qu’à se référer au titre de la série pour avoir la réponse, serait-on tenté de nous rétorquer. Mais, une série photographique ne se résume pas au titre qui l’identifie, permet de la distinguer d’une autre série. Les mots charrient des images que les images elles-mêmes parfois réfutent ou contredisent. Ainsi, dans les paysages d’Anne-Lore Mesnage, des figures d’adolescents forment diptyque avec des paysages qui n’en sont
pas toujours. Parfois identifiables, d’autrefois dissimulés, ses “portraits” semblent happés par la végétation qui en brouille l’identité, la masque comme pour mieux laisser place au paysage auquel le “portrait” fait écho. C’est qu’il y est question de métamorphose et de la place que l’environnement occupe dans nos existences. « L’être humain semble trop souvent oublier qu’il évolue dans un écosystème parmi des éléments interdépendants, et auxquels il est lui-même assujetti. Il met alors en péril les chaînons naturels qui lui sont liés. » dit l’artiste. À voir ses images et à se souvenir du titre de la série on ne peut s’empêcher de songer qu’il y a sans doute une référence implicite à cet âge qu’est l’adolescence, considérée comme le printemps de nos existences d’êtres mortels. Mais on songe aussi aux métamorphoses d’Ovide ou encore à tous ces récits où à la fin de l’histoire la figure héroïque s’efface et laisse symboliquement une plante ou une fleur signifier son passage sur cette terre. La nymphe Clytie, amante d’Hélios, est ainsi changée en tournesol, tandis que Tristan et Yseult, s’incarnent, ou pour parler autrement, se réincarnent respectivement en glycine et en chèvrefeuille. Et la photographe de préciser au sujet des adolescents qu’elle « immortalise » : « Personnifiant tour à tour la divinité orientale Adonis, ils se laissent partiellement intégrer par le végétal qu’ils semblent dompter. Faisant référence aux peintres de la Renaissance (De Vinci, Flandrin, Boccaccino), ils se tiennent ainsi, fiers et droits, prêts à prendre racine.»
Les photographies d’Anne-Lore convoquent pour sûr la littérature, mais elles ne s’en inscrivent pas moins dans l’histoire de la pratique photographique et plus largement artistique.
Le pari des sages
Ce travail consiste en une quête quotidienne des petits gestes qui traduisent le mouvement de transition vers lequel nous tendons. De jardins en manifestations, les apiculteurs croisent les militants, les designers défient les agriculteurs pendant que les sages rêvent à demain.
La fin du pétrole
Le quartier Autofrei à Vienne en Autriche est un laboratoire d’expérimentation écologique à ciel ouvert qui existe depuis 2000. Le quartier accueil plus de 500 habitants et chaque famille est encouragée à vivre sans voiture, seul 20% des habitants a gardé son véhicule, une voiture partagée est mise à disposition dans le garage (4 places de parking contre une centaine de vélos) mais peu de personnes l’utilisent préférant les transports en communs bien développés dans la capitale.
Ce quartier résidentiel est un pari un peu fou lancé par Christoph Chorherr (porte-parole du parti écologiste) il y a 11ans; les habitants semblent aujourd’hui avoir trouvé un rythme de vie qui leur convient parfaitement.
A travers cette série de photographies, j’ai voulu imaginer ce à quoi pourrait ressembler notre futur proche, sans pétrole, dans un espace urbain. Le déplacement des habitants au rythme d’un quotidien à réorganiser (courses, déménagements, …), les espaces à se ré-approprier…
Le Monde de DD
La médiatisation intensive du concept de développement durable nous a amené à repenser nos choix de vie à travers nos gestes quotidiens. Et même si nous sommes dépendants des choix politiques, des initiatives alternatives nous montrent qu’une autre réalité est envisageable. L’Homme, qui tient un rôle majeur dans la transformation de la planète, prend dans les photographies présentées une place prépondérante, puisque c’est aujourd’hui sur ses épaules que repose l’avenir de son environnement.
Le modèle, Jean-Jacques Fasquel, est consultant-formateur en Développement Durable, maître-composteur et éco-citoyen. http://jjfasquel.blogspot.com/
Entre d’Eux
« Demain », au CADA, est une date. Peut-être le jour choisi par l’OFPRA* pour donner sa réponse, signant ainsi le terme d’une attente espérante et angoissée. En attendant, il faut occuper le temps, vaste et lent. Il faut apprendre la patience, essayer de sortir de son esprit cette idée fixe qui ronge toute autre pensée : l’obtention du statut. Mais les démarches sont compliquées, la procédure hermétique pour une acquisition parfois vitale. On maîtrise difficilement les rouages d’une administration qui va pourtant décider du destin de ces hommes.
Madame H. me dit que son mari est parti à la pêche. C’est ce qu’il a trouvé pour tuer le temps. Et aussi pour avoir l’impression de continuer à subvenir aux besoins de sa famille. Puisque Monsieur H. ne travaille pas, ne peut pas travailler sans papiers. C’est le mal que tous connaissent: l’oisiveté forcée, du temps en trop qui fait se sentir inutile. C’est comme si le temps était suspendu, leur vie mise sur pause… entre deux espaces, les deux pays, et entre deux instants, les deux identités. Ils sont en France mais pas français. Ils sont arméniens, congolais… mais plus dans leur pays. Ils ont des souvenirs envahissants et un avenir inconnu. Ils sont dans cet entre-deux là représenté physiquement par le centre de Villeurbanne ou de Bron, le CADA. Un entre-deux que l’obtention du statut de réfugié ne viendra résoudre que partiellement. Les papiers n’effaceront pas les souvenirs. Et ces papiers ne garantissent en rien une vie plus facile sur le territoire. Lorsque la procédure est positive, que le demandeur d’asile devient réfugié, que devient celui qui dans son pays était professeur d’histoire ou pianiste ? Quel métier a-t-il le droit d’espérer en France ?